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'''Vers le « mieux être »'''

La mode du développement personnel, de l’introspection, d’un certain retour à la spiritualité se conjugue actuellement avec une exigence forte de retour à ses racines, de vie saine en communion avec la nature, et de respect des traditions. Cette tendance portée par la mouvance new age favorise le néo-chamanisme occidental, mouvance au sein de laquelle les pratiques de soins et les rituels de guérison se vivent comme une véritable quête initiatique et où l’usage de substances hallucinogènes, souvent officiellement classées dans notre pays comme produits stupéfiants entraînent des états modifiés de conscience associés à des risques vitaux et à d’éventuelles modifications de la personnalité. Là encore, d’éventuelles dérives à caractère sectaire peuvent survenir au sein des micro-groupes adoptant ces pratiques et qui tendent aujourd’hui à se multiplier en empruntant quelquefois des visages inattendus opérant une sorte de syncrétisme entre les pratiques chamaniques et les traditions locales héritées par exemple du druidisme celtique.

1 - Le regain du chamanisme

Dans un article de référence consacré au néochamanisme[6], la sociologue québécoise Catherine Laflamme rappelle que selon la définition proposée par Pierre Couliano et Mircea Eliade : « le chamanisme est un ensemble de méthodes extatiques et thérapeutiques dont le but est d’obtenir le contact avec l’univers parallèle mais invisible des esprits et l’appui de ces derniers dans la gestion des affaires humaines ». Pour communiquer avec les esprits, le chaman passe par des états modifiés de conscience (transes) auxquels il accède grâce au recours à des substances hallucinogènes et à divers moyens annexes (mortification du corps, jeûne, sons du tambour, etc...). Le néochamanisme, lui, est un mouvement de réappropriation par les occidentaux des traditions chamaniques dans lequel, le rôle du chaman est réduit la fonction de guérisseur. Dans le néochamanisme, les rituels de guérison, conformément à l’adage holistique selon lequel la guérison physique passe d’abord par la guérison de l’esprit, peuvent désormais s’enseigner, se transmettre, voire faire l’objet d’un commerce lucratif (stages et sessions de développement personnel) comme c’est déjà le cas en Amérique du Nord.

2- De la médecine du corps à la médecine de l’âme

Les médias se sont récemment fait l’écho des démêlés judiciaires du fondateur du centre Takiwasi, centre de traitement des toxicomanies à base de méthodes chamaniques crée en 1992 au Pérou par un médecin français, le Docteur Jacques Mabit. Ce dernier n’a jamais été condamné ce qui ne met pas fin à de sérieuses inquiétudes au sujet de ces pratiques.

La violence des méthodes utilisées pour le sevrage des toxicomanes interroge également par les risques courus par ces patients très vulnérables.

Aujourd’hui seule l’association lyonnaise, la « Maison qui chante » semble encore en activité et servir de relais promotionnel aux activités thérapeutiques du centre Takiwasi qui recrute ses clients en France comme à l’étranger. Outre l’utilisation de drogues hallucinogènes (l’ayahuasca, classée depuis le 20 avril 2005 dans la liste des stupéfiants par arrêté du ministère de la Santé), Takawasi promeut des séances d’initiation rituelle menée par des guérisseurs locaux, les ayahuasceros. Ce traitement qui combine purges corporelles, jeûne et transes chamaniques, fut conçu à l’origine pour accompagner le sevrage de jeunes toxicomanes. Il est déjà à cet égard très controversé, aucune statistique fiable n’étant disponible sur le taux de réussite effectif de la thérapie proposée en la matière. Le Dr. Jacques Mabit affirme quant à lui que l’initiation rituelle proposée au toxicomane lui permettrait de « rejeter les mémoires négatives » accumulées dans le corps, les « engrammations accumulées dans l’organisme » et revendique un taux de réussite sur environ un tiers des patients. Au-delà même de la question de l’efficacité de la thérapie proposée à l’égard des toxicomanes accueillis à demeure pour des sessions de près d’un an pour certains, le principal problème posé aujourd’hui par le centre Takiwasi réside dans sa propension à élargir sa clientèle tous azimuts en se positionnant de plus en plus comme un centre de médecine de l’âme autant qu’en un lieu de sevrage toxicomaniaque.

Ces dernières années, il semble en effet s’ouvrir à d’autres publics, notamment des malades de cancer déclarés incurables, et des adultes ne souffrant d’aucune addiction particulière mais cherchant remède à leur trouble existentiel.

Au-delà du cas particulier de Takiwasi, des pratiques chamaniques à la validité thérapeutique également contestable semblent progresser dans notre pays sous couvert de développement personnel. Cela n’est pas sans poser problème dès lors qu’elles conjuguent risque d’escroquerie et danger réel pour la santé physique et mentale de ceux qui s’y prêtent.

3 – La promotion des techniques de développement personnel

Au Pérou, des séances de découverte de l’ayahuasca sont désormais intégrés dans les circuits proposés par les tours opérateurs (200 dollars la séance), simples expériences de prise de substances hallucinogènes dans lequel l’habillage folklorique tient lieu de rite pour des touristes étrangers en mal de sensations fortes. En France, ces derniers temps, le créneau du « chamanisme commercial » semble aussi se développer via quelques initiatives personnelles de thérapeutes chamans recrutant leur clientèle sur la foi d’une double promesse « consommateur » alliant le thème de la guérison à celui de la connaissance de soi. En liaison avec un centre de naturopathie amazonien, des sessions et séminaires de prises de substance hallucinogène seraient ainsi périodiquement organisés sur le territoire français, par un thérapeute franco-espagnol résidant au Pérou depuis treize ans, et qui semble entretenir des liens avec le gourou d’un mouvement d’« harmonie/thérapeutes » fortement suspecté de dérives sectaires.

Très récemment en Ardèche, un séminaire de découverte de l’iboga, plante hallucinogène, et dont les effets peuvent être très dangereux pour la santé en cas d’absence de contrôle médical lors des séances de prise (risques de convulsions, paralysie ou mort) a été monté à l’initiative d’une association culturelle dont la vocation affichée est de promouvoir les propriétés de l’iboga dans le traitement des toxicomanes.

Avec un certain pragmatisme, certains néochamanistes conjuguent modernité et tradition en organisant séminaires, cycle de formation de longue durée (deux ans) aux « thérapies vibratoires, aux techniques et applications des sciences de la conscience » et se proposent de jeter un pont entre la « physique quantique et l’ensemble des phénomènes liés aux traditions de l’humanité ». D’autres habillent leur prestation d’une coloration plus traditionnelle et locale. En Bretagne, notamment, on voit fleurir dans le sillage de la mouvance druidique toujours active, quelques cas de chamans guérisseurs à l’image de ce « déo » (druide guérisseur) qui se « connecte à ses mémoires celtes pour devenir soof-ta celui qui connaît et mange la terre » et se propose dans une petite annonce d’initier ses élèves à « la transmission de ses pouvoirs chamaniques. « De la simple escroquerie commerciale à la dérive à caractère sectaire, le risque est grand de voir un certain nombre de ces chamans thérapeutes engagés sur le créneau du développement personnel déraper lors de leurs initiations vers des pratiques thérapeutiques douteuses, voire dangereuses sur le plan physique et mental pour des clients crédules ou influençables. Là encore, la vigilance s’impose comme l’illustrent les premiers cas de dérives recensés sur le créneau, en pleine expansion du néochamanisme.

4 - Nature et tradition, un cocktail à risque

Inspiré des rites et de la tradition amérindienne, des cérémonies en pleine nature sont organisées, notamment dans le sud et de centre de la France avec la pratique des huttes de sudation. Ces méthodes inquiètent. Elles auraient été responsables d’un décès accidentel aux Etats-Unis.

E – L’Irrationnel et pratiques thérapeutiques

Troisième grande tendance observée par les acteurs de la prévention contre les risques sectaires, on assiste ces dernières années au grand retour de la pensée magique avec son corollaire en matière de santé, la foi dans le miracle apte à guérir, voire à sauver dans les cas les plus critiques.

1 – Le recours au miraculeux

Anne-Marie Hamel, dont les abus furent sanctionnés par la loi, s’était ainsi autoproclamée « thérapeute spirituel » et se disait inspirée par les pouvoirs d’un guérisseur philippin décédé dans les années 80. Cette ancienne femme de ménage s’attribuait des dons miraculeux permettant de guérir toutes les maladies définies, selon elle, comme des « déconstructions celluliques ». En 2001, elle fut condamnée par le Tribunal de grande instance de Coutances à trois ans de prison dont trente mois avec sursis pour homicides involontaires, exercice illégal de la médecine et travail clandestin, à la suite de deux décès survenus en 1996 et 1997.

Traditionnellement incarnée par l’aura du gourou guérisseur qu’on croit doté de pouvoirs extraordinaires, la croyance selon laquelle le miracle pourrait être une alternative possible à des méthodes thérapeutiques conventionnelles jugées peu efficaces semble se développer dans le public. Elle prend désormais des formes d’expression différentes, illustration des grandes évolutions en cours de nos sociétés modernes. Aux excès de quelques communautés religieuses qui, sous l’égide d’un guide spirituel trop exalté entretiennent en leur sein la foi dans le miracle et le recours à la prière comme pratique thérapeutique exclusive, viennent désormais se greffer les promesses de santé teintées d’irrationalité d’un certain nombre de groupes prônant l’auto-guérison par la maîtrise d’un savoir secret transmissible de maître à élève. Ces groupes, souvent d’inspiration orientaliste et revendiquant parfois le titre de thérapies énergétiques entretiennent ainsi l’idée d’apparence plus pragmatique selon laquelle chacun pourrait devenir son propre guérisseur, après initiation. Mais la croyance selon laquelle il serait donné à chacun, après formation accélérée, de transmettre ou de recevoir ce pouvoir de canalisation d’une « énergie vitale universelle » promue force de guérison, compose elle aussi une vision bien peu rationnelle de la médecine ; parce qu’elle repose sur un fondement dénué de toute objectivité scientifique, elle peut d’autant plus facilement déboucher sur des dérapages éventuels, ainsi qu’en attestent certains témoignages de pratiques de guérison à distance, voire par téléphone, actuellement, développées par certains adeptes du Reiki.

2 - Les médecines énergétiques

Sur le grand marché des thérapies alternatives, où l’on voit que la dimension psy permet à un certain nombre de gourous en puissance d’asseoir leur emprise sur une clientèle fragilisée, les médecines dites « énergétiques » et leur processus de formation accélérée (cursus d’initiation vécus sous forme de week-end ou de stages d’intégration au déroulement plus ou moins secret), paraissent également aujourd’hui particulièrement perméables à des formes de dérives individuelles : parce qu’elles visent à rétablir l’harmonie de la personne dans sa globalité (harmonie du corps et de l’esprit) en lien direct avec l’environnement qui l’influence et selon elles, conditionne la bonne gestion de son capital santé, elles peuvent ainsi être prétextes à l’édiction de préceptes de vie très contraignants dans leur application touchant les moindres aspects du quotidien (alimentation, règles d’hygiène et/ou d’éducation, sexualité, etc …). Lorsqu’elles versent dans l’irrationnel, elles peuvent aussi se traduire par des actes thérapeutiques aberrants comme l’actualité l’a démontré récemment avec la condamnation en mars 2005 d’un dentiste cannois adepte de la dentisterie énergétique à dix-huit mois de prison avec sursis et à une interdiction d’exercer pour s’être livré à « l’arrachage barbare » de dents dévitalisées. Ces dérives observées, si elles restent pour l’heure marginales au sein d’une mouvance portée par la mode du bien-être et du développement personnel, méritent incontestablement le qualificatif de « sectaires » dès lors qu’elles aboutissent à des situations de rupture familiales ou professionnelles, plus graves encore à des délits majeurs, passibles du pénal et qu’elles s’inscrivent dans une filiation reconnue à un corpus doctrinal à la dangerosité avérée. C’est le cas, par exemple du mouvement SHY qui compterait près de 3000 adeptes dans une vingtaine de départements réunis dans des associations aux noms divers. Ces dernières développeraient stages d’initiation vantant les pouvoirs de l’autoguérison et de la guérison sur autrui. Le mouvement a vu l’un de ses adeptes sanctionnés en 1999 pour exercice illégal de la médecine suite à un décès survenu en 1996 et développait ces dernières années un fort prosélytisme auprès de malades du sida. En novembre 2002, suite à une plainte déposée par une famille montpelliéraine dont l’un des membres avait stoppé le traitement médical, le gourou du mouvement alors encore baptisé HUE (Energie universelle et humaine) était condamné par le Tribunal correctionnel de Montpellier à trois mois de prison ferme pour exercice illégal de la médecine.

3 - Le reiki en question

Dans le champ des médecines énergétiques qui posent question, d’autres méthodes de soins, appellent à la plus grande prudence. Méthode thérapeutique promue et développée par le japonais Mikao Usui (1865-1926) suite à une révélation mystique qui l’aurait conduit à la fin du XIXème siècle à recevoir les « clefs de la guérison », le reiki connaît un développement sans précédent actuellement en France. Cette technique de guérison par imposition des mains fait du praticien initié à la technique un simple médium ou canal de l’énergie universelle qui sera transmise au patient pour rétablir la force vitale garante de sa bonne santé. Face à l’augmentation des demandes d’information et des témoignages à charge recueillis par les associations de terrain sur cette mouvance en particulier, celles-ci appellent les pouvoirs publics à se montrer particulièrement vigilants à l’égard des dérives que la pratique du reiki pourrait engendrer. Agissant sur tous les plans, physique, psychique, émotionnel et spirituel, la méthode serait simple à maîtriser : il est possible de devenir maître reiki en trois ou quatre stages de formation accélérée pendant les week-end, aux tarifs progressifs de 120 à 1500 euros, suivant le degré d’initiation.

4 - La guérison par la prière

L’une des aspirations les plus courantes exprimées par les individus en quête de spiritualité s’avère être aujourd’hui l’idéal de proximité que recherche chaque croyant, quelle que soit sa doctrine, avec son ou ses dieux, au-delà même des carcans dogmatiques imposés par l’église à laquelle il appartient. Cette nouvelle exigence de vivre sa foi au plus près de soi explique en partie l’essor des pratiques de soin et de guérison dans des mouvements religieux qui prônent la relation directe entre l’adepte et son dieu : à cet égard, le recours au miraculeux, la guérison par la prière viennent en démonstration des effets tangibles et bénéfiques de la foi sur des adeptes en quête d’espoir. Mais lorsque le recours au miraculeux se combine à un refus de soin imposé en dogme comme cela a été signalé en ces termes dans le rapport 2004 de la MIVILUDES, la dérive est patente et mérite d’être signalée : « Dans le Val d ’Oise, un mouvement pseudo-religieux afirme que le mal et la maladie ne sont qu ’illusion, que la maladie et la mort n ’ont pu être créées par Dieu donc quelles n ’existent pas et qu’il faut fuir les médecins avec horreur ». Groupes charismatiques et communautés pseudo-évangéliques ne sont pas à l’abri de telles dérives, notamment quand ils invitent leurs adeptes à suivre des séances de prière collectives où les guérisons « miraculeuses », sous l’égide d’un pasteur doté de pouvoirs médiumniques « vecteur de l’esprit saint », affluent en des proportions qui frôlent souvent l’hystérie. L ’Eglise universelle du Royaume de Dieu développerait ainsi auprès de ses fidèles l’idée que le sida peut guérir par la prière.

Enfin, le mouvement guérisseur d’inspiration religieuse, les Pèlerins d ’Arès, semble retrouver un regain d’activité dans la capitale via son siège « l’Eau bleue » où se tiennent des conférences régulières avec distribution de tracts promotionnels.

Parmi les cas de dérives avérées au sein de communautés pratiquant des rites de guérison par la prière, les communautés qui allient spiritualité et prétention thérapeutique pseudo scientifique sont certainement les plus sujettes à caution à l’instar des « groupes médicaux-scientifiques » du Cercle des amis de Bruno Gröning qui sont très puissants en Allemagne et interviennent en France surtout auprès des personnes âgées. Un autre mouvement, alliant cette fois prières et pratiques d’harmonisation, le mouvement IVI entend guérir les maladies les plus graves par imposition des mains : cancer, sida, sclérose en plaques. IVI compterait encore à l’heure actuelle près de 400 adeptes en France (ils étaient environ 2000 en 2002) malgré les condamnations du Conseil national de l’Ordre des médecins.

III - Le « marketing » des groupes de médecine alternative

Pour élargir leur audience, adeptes de la « médecine nouvelle », praticiens en méthodes alternatives et groupes développant des offres thérapeutiques parallèles, s’appuient sur deux cibles complémentaires : d’une part le grand public, premier consommateur de l’offre de soin, d’autre part le milieu médical et paramédical, adeptes prescripteurs auxquels le prestige de la charge confère une aura particulière auprès d’éventuels patients. Quelques médecins, dentistes et pharmaciens constituent à ce titre un relais privilégié pour des promoteurs de thérapies non validées, qui contournent l’absence de reconnaissance scientifique, inconvénient majeur en terme de crédibilité, en s’abritant derrière le statut rassurant « du » ou « des » quelques professionnels acquis à leur cause.

A – Physionomie d’un marché en développement

1 - La communication grand public

Nombre de thérapeutes praticiens en médecine holistique, techniques énergétiques, adeptes de la mouvance Hamer s’affichent avec force propositions de formations via les petites annonces, les encarts publicitaires et les articles publi-rédactionnels dans de nombreuses revues de médecines douces, dont certaines sont éditées en Belgique et disponibles sur abonnement. On peut y lire des annonces qui entachent la crédibilité de certaines méthodes thérapeutiques dites douces, au marketing des plus agressifs : « le reiki : méthode fabuleuse et simple qui consiste à canaliser l’énergie vitale pour accroître les capacités d ’autoguérison physique et psycho afectives. Blocages, dépression, anxiété, échec. Enfants adultes, Psychothérapeute s ’appuyant d’une étude astrologique » [7].

L’engouement actuel pour le paranormal et les sciences occultes fait aussi le bonheur de la presse spécialisée dans le créneau des guérisseurs et médiums telles « La revue de l’au-delà » ou encore « Guérisseurs aujourd’hui » dont les pages sont aussi largement ouvertes aux promoteurs des médecines non conventionnelles. Mais ces derniers sont également présents dans une moindre mesure dans les titres plus généralistes de la presse magazine et féminine via notamment la rubrique du courrier des lecteurs.

Sur Internet, on trouve les « vitrines commerciales » des thérapies non conventionnelles, certaines d’entre elles proposant même des modes de communication interactifs tels que des émissions de radio ou des vidéo promotionnelles à télécharger sur Internet.

La vente d’ouvrages et de cassettes grand public est enfin l’un des moyens de promotion favoris de ces groupes qui créent très souvent leur propre maison d’édition pour s’assurer de substantiels revenus, le marché s’avérant très lucratif.

2 - Les médecines alternatives, un produit de luxe

Les médecines alternatives s’adressent en priorité aux catégories socio-professionnelles les plus élevées. Les femmes sont souvent les premières clientes des médecines énergétiques et thérapeutes en techniques psychocorporelles qui fleurissent sur le marché de la santé. Hommes ou femmes, les clients sont le plus souvent abordés dans les salons grands publics.

La clientèle n’étant cependant pas extensible à l’infini, l’un des phénomènes les plus récents observés par les acteurs de la prévention du risque sectaire se traduit sur le marché de la santé par la constitution de réseaux de thérapeutes « amis », lesquels, une fois leur patient formé à leur propre technique, envoient leur clients prolonger leur cursus chez un collègue praticien d’une autre méthode. On voit ainsi des patients multiplier les stages de formation à des coûts exorbitants pour se reconvertir au gré d’une réorientation professionnelle parfois étonnante en praticiens pluridisciplinaires devenant à leur tour prescripteurs auprès de nouveaux clients. Lorsque cette « reconversion » professionnelle s’accompagne d’un changement radical de vie et d’une rupture avec l’environnement familial, il est sans doute légitime de se poser au moins la question d’une éventuelle dérive à caractère sectaire de la technique à laquelle il s’est formé.

3 - Le commerce de médicaments vendus sans autorisation de mise sur le marché

Qui dit « médecine alternative », dit aussi « commerce de médicaments à la validité thérapeutique non éprouvée », qui pour certains peuvent même présenter des dangers pour la santé. La vente directe sur Internet semble se développer via les sites relais des tenants de la médecine énergétique, hygiéniste, des thérapeutes affiliés à la mouvance Hamer et des charlatans de la médecine miracle qui proposent leurs élixirs et leurs antidotes au grand public. L’affaire Beljanski [8] reste à cet égard l’un des cas les plus tristement célèbres de dérive observée en ce domaine. Dans le procès de ce chercheur biologiste décédé en 1994 mais dont les produits continuent à être fabriqués et distribués par des structures qui en vantent les effets immunitaires contre les maladies les plus graves (cancers, sida), la ligue nationale de lutte contre le cancer s’était portée partie civile. La tendance écologique qui favorise la profusion sur le marché des « huiles essentielles » et autres onguents dits naturels dont certains groupes se font une spécialité n’est pas non plus sans risque pour la santé.

B - L’infiltration des professions médicales et paramédicales

Il apparaît, dans le domaine de la santé encore plus qu’ailleurs, une vraie difficulté à évaluer dans les différents types de dérives recensées, où s’arrêtent les cas de pur charlatanisme relevant de la simple escroquerie individuelle et où commencent ceux illustrant une stratégie délibérée d’emprise sectaire. À cet égard, la constitution d’un maillage de thérapeutes relais et/ou de médecins prescripteurs visant à étendre l’influence doctrinale d’un mouvement contesté, véritable réseau de « franchisés » formés à des techniques inédites de soins et se déployant sur un territoire de plus en plus large semble bien être l’une des caractéristiques essentielles qui puisse en témoigner dès lors que cette politique commerciale agressive s’ajoute aux critères de dangerosité couramment admis (notamment la rupture avec l’environnement familial, l’altération de la personnalité du sujet, l’embrigadement des enfants, l’infiltration des pouvoirs publics). Brochures publicitaires, entretiens personnalisés, démarchage de groupes réputés sectaires auprès des médecins, des pharmaciens et des chirurgiens dentistes pour proposer formations et collectes constituent autant de techniques régulièrement dénoncées par les instances ordinales de ces professions.

1 - L ’exemple de Kryeon

Si la formation « d’agents recruteurs » au sein même des professions médicales et para-médicales (tels les kinésithérapeutes ou les orthophonistes) constitue l’une des principales voies de prosélytisme pour les organisations à risque de dérive oeuvrant dans le secteur de la santé, cette technique devient dans le cas de certains groupes, un véritable système marketing à l’exemple du mouvement kryeon et de sa technique de l’EMF balancing proposée en formation à de futurs praticiens en « énergie » appelés « énergéticiens » et aux parents dont les enfants sont diagnostiqués hyperactifs ou décrétés « enfants indigo ». Malgré les retombées médiatiques des campagnes d’information engagées pour prévenir médecins et particuliers des dangers de ce groupe prônant l’idéologie d’une race nouvelle à venir, Kryeon continue à promouvoir activement le thème des enfants indigo, enfants à l’ADN différent qui doivent faire l’objet d’une éducation particulière et qui, pour certains d’entre eux, auraient même des pouvoirs de guérison : « Il semble que des milliers d’enfants nés de mère sidatique, arrivent non seulement à guérir de ce virus mais aussi à développer un système immunitaire des centaines de fois plus résistant aux maladies que l’adulte moyen[9]. Le groupe investit actuellement aussi le créneau des femmes enceintes (idée de la « génération indigo » en gestation) et propose une surenchère dans l’exploitation du thème des enfants indigos en passant actuellement au concept de l’enfant « cristal », décrété encore plus extraordinaire que les précédents[10]. Une littérature abondante circulerait actuellement à ce sujet dans les librairies ésotériques de Marseille. En 2004, le réseau des praticiens en EMF balancing technique comprenait environ quarante personnes implantées dans de nombreuses régions (Paris, Ile de France, Aquitaine, Midi-Pyrénées, Rhône, Alpes, Bretagne, Pays de la Loire, Centre, Auvergne, Languedoc-Roussillon, Lorraine). L’un des produits annexes commercialisés par le mouvement et lancé sur le marché par un ancien naturopathe converti au travail de l’énergie est « l’eau diamant », « aide pratique pour déprogrammer et transformer les mémoires cellulaires restrictives ». Ce produit serait actuellement diffusé dans treize pays dont la France avec neuf vendeurs recensés.

2 - Praticien plutôt que médecin pour contourner la loi

Certains médecins reconvertis dans une thérapeutique non conventionnelle n’hésitent pas, pour échapper aux sanctions éventuelles des instances ordinales, à décrocher leur plaque professionnelle ou à demander d’eux-mêmes leur radiation de l’ordre, préférant se positionner face à leur clientèle comme praticien, voire guérisseur.

Mais qu’ils soient anciens médecins ou non, la qualité de « praticien » que certains gourous des médecines alternatives revendiquent n’empêche pas les moins scrupuleux d’entre eux d’agir en toute illégalité, en établissant des diagnostics voire en dressant de pseudos ordonnances. La plupart du temps cependant, les promoteurs de techniques thérapeutiques non validées se protègent des foudres de la loi en affichant leurs bonnes intentions sur les premières pages de leur site : « notre technicité ne remplace pas le diagnostic médical fait par un docteur en médecine, les traitements proposés chez nous viennent en complément de la médecine », des propos rassurants que viennent généralement infirmer quelques pages plus loin des offres de soins aux prétentions curatives, toujours assorties de précautions d’usage.

C - Le « lobbying » opposé à la médecine conventionnelle

Si la mouvance anti-vaccination, incarnée notamment par le Syndicat Hippocrate et étroitement liée pour certains de ses acteurs au réseau hamériste de la médecine nouvelle, reste l’un des principaux hérauts de la mobilisation contre la médecine conventionnelle, le refus de soin devient aujourd’hui un nouveau support de promotion pour des groupes soucieux d’étendre encore leur audience auprès du grand public comme des professions médicales, sur la base d’un lobbying censé convaincre l’opinion publique des vertus de méthodes thérapeutiques non violentes ou respectueuses de leurs convictions religieuses strictes.

L’Eglise de Scientologie promeut l’usage de la niacine (l’un des composés de la vitamine B) déclarée vitamine intelligente dans ses programmes de « purification » à visées thérapeutiques accompagnés de séances intensives de sauna. Après l’assistance aux toxicomanes, elle développe désormais des procédures d’urgence à appliquer aux grands traumatisés ou comateux sur des lieux de catastrophes et est ainsi devenue le fer de lance des abus présumés de la psychiatrie via son « collectif des médecins et citoyens contre les traitements dégradants de la psychiatrie ». Les Témoins de Jéhovah, quant à eux, poursuivent assidûment leur action au sein même du milieu médical via leurs comités de liaison hospitaliers pour y faire valoir leur refus des transmissions sanguines y compris en cas d’urgence vitale ; une position contestée par les pouvoirs publics mais que pourrait conforter la dernière recommandation du comité consultatif national d’éthique [11]. Ce dernier stipule en effet : « le refus de traitement clairement exprimé par une personne ayant encore le gouvernement d’elle-même ne peut-être que respectée, même s ’il doit aboutir à la mort ». Au lobbying d’opposition s’ajoute aujourd’hui un mouvement de sensibilisation de l’opinion engagé à travers la création de groupes de réflexion et « d’éthique » médicale.

Ces dernières décennies, la création d’un droit des malades prévoyant notamment la possibilité de rédiger des directives de fin de vie à travers « un testament » ou la désignation d’une personne de confiance, pourrait favoriser des refus de soins, par exemple de prise en charge anti-douleurs pour des motifs autres que ceux voulues par le législateur[12].

La question reste posée de savoir à qui profitera, en définitive, la constitution d’alliances ponctuelles entre divers partisans des médecines alternatives que, a priori, rien ne rapproche. Reste à démontrer également que cette tendance puisse perdurer.

Ce panorama relativement complet mais non exhaustif des mouvements et pratiques ayant investi le champ de la santé, est certainement préoccupant, car il fait peser de réelles menaces sur notre société et sur les citoyens en quête de réponse à leurs difficultés. Le dynamisme de ce marché de l’illusion du mieux vivre et de la guérison, au-delà des dispositifs réglementaires et judiciaires qui le contrôlent, exige que l’État se donne les moyens de limiter les risques et les drames humains surtout lorsqu’ils frappent les jeunes et les individus fragilisés par la maladie ou le handicap. Au-delà des actions administratives et ou judiciaires, la nécessité d’une information du public sur les pratiques promues s’impose car elle est seule de nature à limiter leur nuisance, dans l’attente des résultats d’une évaluation scientifique des méthodes proposées.
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